[Motion] Pour un tourisme responsable, soutenable et solidaire
Partager

Retrouvez ci-dessous la motion adoptée par le conseil fédéral des 30 et 31 janvier 2021


Exposé des motifs :

Produit de luxe jusqu’au premier tiers du XXème siècle, le tourisme devient un phénomène de grande ampleur en France avec l’obtention des congés payés en 1936 : le droit aux vacances, et le droit au voyage sont des acquis sociaux majeurs, consubstantiels au droit du travail.

Le tourisme, national et international, s’il peut être dans les territoires d’accueil un facteur de développement économique, de paix, de rencontres interculturelles et d’émancipation des populations locales, est aussi un des facteurs principaux de fragilisation des équilibres écologiques et socio-économiques de certains territoires.

Mais considéré comme un produit de consommation courante et normalisé, le tourisme et le voyage sont sources de graves déséquilibres et se développent souvent au détriment de la planète, des populations et de l’environnement des territoires d’accueil. (Nous associons à dessein les deux termes, tourisme et voyage, car vouloir les distinguer à tout prix relève essentiellement d’une posture de distinction sociale).

En 2018, l’OMT (Office Mondial du Tourisme) a dénombré 1,4 milliard d’arrivées internationales de touristes dans le monde, dont 56% pour les loisirs et les vacances. Le tourisme représente, en 2019, 9% du PIB mondial (7,2% en France), un emploi sur 11 dans le monde (1,2 million emplois directs en France, pour 313 000 entreprises) et génère des revenus de 1 700 milliards de $ dans le monde (172 milliards d’€ en France) 1

Ces quelques chiffres montrent qu’il ne sera pas possible de s’abstenir d’un débat éclairé sur l’avenir d’un secteur économique qui sortira exsangue de la crise sanitaire. Malgré l’importance de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux, la réflexion sur le tourisme reste peu approfondie par le monde politique. Le sujet est traité de manière périodique et partielle dans les programmes des élections municipales, départementales et régionales, qui ne traitent que d’un seul des aspects du secteur : le tourisme d’accueil. Or notre pays présente la particularité d’être à la fois un de ceux qui accueillent le plus de touristes au monde ET un de ceux qui émettent le plus de touristes vers les autres pays de la planète (15% des français.e.s en moyenne, et 25% des francilien.ne.s, partent à l’étranger chaque année).

A l’heure où le Parlement européen se saisit de la question du tourisme durable 2, et dans l’optique d’une accession prochaine à de nombreux leviers de décisions, il est important et désormais urgent que les écologistes s’emparent du sujet et définissent les lignes directrices des politiques qu’ils souhaitent porter dans ce domaine.

La crise sanitaire a brutalement mis en évidence la fragilité de pays entiers, et de plusieurs régions françaises, pour qui le tourisme en général et le tourisme de congrès3 en particulier, sont des sources majeures de revenus et de développement. Des mesures de soutien d’urgence ont été prises dans la plupart des pays européens. Les mesures d’aide à la reprise qui vont vraisemblablement suivre devront être assorties de conditionnalités sociales et écologiques, comme le propose le Parti Vert Européen4, afin de construire des modes de production, de consommation, de promotion et de distribution durables et responsables du tourisme et de voyages, qui soient notamment moins liés au transport aérien. Les mesures d’aide doivent être en partie attribuées dans les zones trop spécialisées dans le tourisme, à la conversion de l’économie vers d’autres sources d’activités pour permettre aux territoires d’être moins sensibles aux crises.

Il s’agit notamment que ces aides permettent :

  • d’articuler plus fortement le tourisme avec les autres activités économiques locales, notamment agricoles ;
  • de réorienter les infrastructures touristiques existantes vers un tourisme 4 saisons ;
  • de réorienter les logements touristiques sous-occupés – les « lits froids »- au bénéfice du logement des travaill.euse.eur.s du tourisme ;
  • de développer le logement résidentiel en lien avec les nouvelles organisations du travail permises par la digitalisation des activités économiques (cf. le « co-working »).

À ce titre, l’article 10 du Congrès International du Tourisme Social de 1996 précise :

« L’information, la formation et la sensibilisation des touristes au respect de l’environnement et des populations constituent l’une des missions essentielles du tourisme social dans son rôle d’aménageur et d’entrepreneur de projets de développement touristique. »

Intégrant dans le secteur du tourisme les valeurs et principes du développement soutenable et du commerce équitable, le tourisme soutenable préserve l’intégrité culturelle, les écosystèmes, la biodiversité et les systèmes de soutien de la vie, tout en satisfaisant les besoins économiques et sociaux.

Le respect de la biodiversité et des animaux, la prise en compte des grands enjeux écologiques (et en particulier de la gestion de l’eau, des déchets), le respect de l’être humain et des cultures des régions d’accueil, l’amélioration des conditions de travail et du bien-être des travailleurs du secteur, la solidarité, l’équité, toutes ces valeurs qui devront être le socle du tourisme de demain, sont depuis plusieurs années portées et mises en œuvre partout dans le monde par des opérateurs engagés dans des pratiques de tourisme responsables5. Ces opérateurs et leurs associations internationales, nationales et locales, font le constat de l’invisibilité de leurs pratiques au niveau statistique, commercial sur les principales plateformes numériques et politique au niveau des instances européennes, nationales et européennes. Ils ont besoin de soutiens politiques forts aux niveaux européen, national et régional.

Dans notre pays, dans de nombreuses régions et villes dépendantes de formes de tourisme « monoactivité » (les stations de ski et stations balnéaires notamment, mais aussi les villes de congrès) ou de clientèles étrangères (Paris en particulier), opérateurs et pouvoirs publics prennent conscience de l’impasse environnementale et économique de ce modèle développé depuis plusieurs décennies, et entament la nécessaire mutation du secteur, tant sur les publics visés que sur la nature des activités proposées, activités qui sont intimement liées aux infrastructures présentes sur le territoire (il est par exemple difficile de développer le tourisme à vélo quand il est difficile de mettre son vélo dans un train ou que les véloroutes et itinéraires cyclables manquent). Là encore, les opérateurs et acteurs locaux ont besoin de soutiens politiques et économiques forts, au niveau local et régional.

L’explosion du transport aérien depuis le premier vol « charter » en 1954, la baisse considérable des prix de vente des billets corrélée au développement du modèle « low cost » ont favorisé la croissance d’une forme de tourisme dite « de masse », forme de tourisme qui existait déjà en montagne et en bord de mer. Ce nouveau modèle, basé sur des séjours de courte durée déconnectés de toute notion de distance, mettant les destinations en concurrence essentiellement sur des critères de coûts et contribuant à une surconsommation intenable de transports carbonés, qu’ils soient par avion ou par bateau de croisière, est destructeur pour la planète et les populations d’accueil. L’industrie du voyage et les voyageurs doivent se désintoxiquer du transport par avion ou par bateau géant, et promouvoir, partout où c’est possible, les liaisons terrestres et ferroviaires – en particulier les trains de nuit.

Les pouvoirs publics portent aussi une importante responsabilité sur ce point : diminuer le poids de l’aérien dans la production de voyages implique bien sûr que les habitudes de consommation changent, mais aussi que des alternatives crédibles de transport, et notamment ferroviaires existent.

La réflexion pour un tourisme responsable et solidaire ne peut pas plus se résumer en une simple critique du tourisme de masse, notion mal définie et représentant en soi un risque de discrimination des voyageur.se.s pour in fine à nouveau privilégier l’accueil de touristes à fort pouvoir d’achat. Le tourisme social est souvent un tourisme de groupes : il implique des structures d’accueil, des modes de transports et des organisations de pratique des activités adaptées à des groupes. Il est tout à fait possible et nécessaire d’organiser cette forme de tourisme de manière responsable et durable. Il est tout autant nécessaire de défendre et promouvoir l’accès au voyage et à l’ouverture au monde pour toutes et tous que portent les centres de vacances pour enfants et adolescents (nos bonnes vieilles colonies de vacances), les voyages scolaires ou les séjours et voyages proposés par Comités d’entreprise et CCAS de nos villes.

Chaque site naturel, chaque ville a son propre plafond de nombre supportable de visiteurs, fonction de plusieurs facteurs : un visiteur aux grottes de Lascaux est un visiteur de trop, quand le musée du Louvre peut en accueillir jusqu’à 40 000 par jour. Les effets dévastateurs de l’économie dite collaborative et de plates-formes comme AirBnB ont focalisé l’attention sur le surtourisme. Une enquête menée en 2018 puis renouvelée en 2020 par les autorités municipales de Copenhague6 montrent que les effets du surtourisme et sa perception par les habitant.e.s est circonscrit à des quartiers précis et que des solutions peuvent être trouvées, avec la participation active des habitant.e.s, pour y remédier pour le bien de tous. Ces solutions passent certainement par la notion de « quotas de touristes », comme cela est appliqué dans quelques pays ou villes, mais aussi par le contrôle et la limitation de l’activité des plates-formes collaboratives.

Rejet apriori du transport aérien et du tourisme de masse sont deux approches réductrices qui évacuent la responsabilité sociale de l’ensemble de la filière, qui ne se limite pas au seul transport, et sa responsabilité sociale, dans un secteur fortement précarisé.

Le tourisme mondial serait responsable de 8% des émissions de gaz à effet de serre (en y intégrant le transport, l’hébergement et toutes les dépenses afférentes)7. Pour l’essentiel, ces émissions sont dues au transport aérien. 89% des voyages à l’étranger des touristes français (de loisir, d’affaires ou de congrès) sont organisés par des voyagistes, qui ont donc une responsabilité majeure dans l’action pour diminuer ces émissions, d’abord dans les conseils et prescriptions qu’ils font à leurs client.e.s, puis dans la production des voyages.

Pour les territoires d’accueil, il convient d’appliquer aux zones touristiques les limitations globales visant à préserver les ressources naturelles, comme le « zéro artificialisation des terres », de réduire à leur minimum les émissions de GES, les consommations énergétiques, la production de déchets et la pression sur la ressource en eau. » Il s’agit notamment de réduire à leur minimum les émissions de GES, les consommations énergétiques, la production de déchets et la pression sur la ressource en eau.

En quelques phrases, promouvoir un tourisme responsable, soutenable et solidaire, c’est :

  • Ne laisser là où nous passons que l’empreinte de nos pas ;
  • Ne pas augmenter la pression sur les ressources naturelles et les écosystèmes ;
  • Rendre les populations locales actrices de leurs territoires et des propositions touristiques ;
  • Défendre le plaisir du voyage, formidable occasion d’échanges et de rencontres, humaines ; culturelles et naturelles, devant être bénéfiques aux « accueillis » comme aux « accueillants ».
  • Permettre l’accès à tou.te.s aux vacances et notamment aux foyers les plus modestes.

Motion :

Concernant le soutien et l’aide à la reprise du secteur, EELV décide de mandater les élu.e.s écologistes pour porter la demande de déblocages d’importants fonds européens, nationaux et régionaux pour relancer l’activité du tourisme qui génère environ 10 % du PIB en Europe et qui concerne plus de 23 millions d’emplois. Les enjeux sociaux, écologiques, démocratiques et économiques sont tels qu’il est primordial que la stratégie de relance du tourisme soit coordonnée au niveau européen et que les aides et les soutiens soient conditionnés aux engagements des opérateurs pour la durabilité, l’environnement, le vivre ensemble et le bien-être des populations hôtes. Les activités trop prédatrices sur les écosystèmes, les ressources naturelles locales ou sur le bien-être des populations locales ne doivent plus être soutenues.

Concernant la mise en œuvre d’un tourisme vraiment responsable et en transition, EELV prend position pour :

  • Exiger l’affichage de l’empreinte carbone des voyages, des séjours et des offres touristiques afin d’assurer aux voyageurs une transparence de l’information ;
  • Travailler avec les organismes représentatifs des opérateurs de l’industrie du tourisme à l’élaboration et à la mise en œuvre d’un plan de réduction des émissions, des déchets, pollutions et nuisances dans leurs secteurs d’activités ;
  • Imposer dès maintenant aux prescripteurs de voyages (et notamment aux organisateurs de congrès) et aux opérateurs la compensation de 100% des émissions, par la contribution à des actions labellisées et certifiées par des organismes indépendants8 ;
  • Supprimer les aides publiques aux projets de développement d’infrastructures d’accueil et/ou de loisirs inutiles et dangereux pour le climat, la planète, les écosystèmes locaux et leurs êtres vivants ;
  • Favoriser l’égalité face au départ en vacances, en proposant des tarifs sociaux et solidaires à l’entrée des bases de loisirs, de lieux culturels et dans les transports, en améliorant les dispositifs d’aides directes aux départs en vacances et en soutenant plus fortement le fonctionnement et les projets des associations et organismes du secteur, en particulier aux organisateurs de centres et séjours de vacances pour mineurs, de tourisme scolaire et de vacances familiales ;
  • Supprimer les exonérations et réductions fiscales ainsi que les subventions pour le secteur aérien, afin de rétablir le véritable coût du transport ;
  • Penser et co-construire l’accueil touristique local avec les habitants ;
  • En s’appuyant sur l’expérience réussie à Copenhague6, définir avec les habitants les conditions pour réussir à trouver le bon équilibre pour faire cohabiter ensemble la société, le citoyen et le touriste ;
  • Imposer la participation des acteurs du tourisme soutenable, social et solidaire aux débats et à la co-construction des politiques publiques pour un tourisme responsable dans toutes les instances et collectivités
  • Développer un tourisme privilégiant les mobilités douces ou bas carbone, en particulier en portant les politiques publiques visant à développer le train et plus spécifiquement le train de nuit, développer les réseaux de circulations douces (véloroutes en particulier), les services de navettes, les transports publics ;
  • Promouvoir les actions des opérateurs touristiques garantissant, dans les Régions, en France et à l’étranger des services touristiques équitables et durables, notamment en privilégiant le soutien au développement d’offre durable. Soutenir les acteurs qui développent un tourisme inclusif, qui valorise les productions locales et améliore la qualité de vie des habitants des destinations visitées ;
  • Promouvoir et développer les formes de tourisme d’accueil écologique, solidaire et responsable : recenser les potentialités dans tous les domaines du tourisme (rural, urbain, naturel, culturel, industriel…), définir les outils pour les promouvoir et favoriser leur mise en marché « du local au national », proposer des politiques de soutien plus fortes aux initiatives locales, publiques et privées, développant des accueils et activités touristiques durables ;
  • Encourager le développement d’un tourisme non saisonnier, permettant de soutenir des emplois durables, en s’appuyant sur les autres besoins d’hospitalité des territoires, et en cherchant à développer et promouvoir le tourisme intrarégional ;
  • Réfléchir, avec le Parti Vert Européen, à la définition d’une norme européenne permettant d’afficher simplement le degré de durabilité d’un séjour (comme cela existe pour les machines à laver classées de A à E en Europe). Une norme publique permettrait d’évaluer l’impact environnemental et social d’un séjour en intégrant la mobilité, l’hébergement, l’alimentation et les activités.

Notes :

1 UNWTO – International Tourisme Highlights -2019 Edition, Faits saillants du tourisme international – Édition 2019 (e-unwto.org) et Chiffres clés du Tourisme – édition 2018 – Direction Générale des Entreprises

2 https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TRAN-PR-657187_EN.pdf – 12 octobre 2020

3 Sous ce terme, on regroupe congrès, conventions, salons professionnels et grand public (MICE = Meetings Incentive Conference Exhibitions)

4 Recovering from Covid-19, building a sustainable tourism sector across Europe | European Greens

5 https://www.tourisme-responsable.org/ https://isto.international/members/?lang=fr

6 How Copenhageners Experience Tourism – 10xCopenhagen

7 Étude publiée en 2018 dans le magazine Nature Climate Change

8 Par exemple : co2logic | Credible Climate Action