La place du sport dans les programmes des nouvelles villes écologistes
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Le 16 janvier 2021, par les membres de la commission et le concours de Franck D’Agostini

Les élections municipales du printemps 2020 ont installé des coalitions vert-rose-rouge et citoyennes dans les Hôtels de ville de plusieurs communes de plus de 80 000 habitants. Les derniers mois ont permis à certaines de prendre leurs marques et à celles qui étaient réélues de poursuivre leur action.

Les polémiques estivales autour des déclarations concernant le Tour de France (critiqué par certaines municipalités notamment pour son impact environnemental et son caractère exclusivement masculin) ont conduit à des raccourcis et des résumés caricaturaux de la position des élus écologistes qui ont été dépeints comme fondamentalement opposés au sport, de haut niveau notamment.

La publication récente d’un numéro de l’Equipe Magazine (7 novembre 2020) dédié aux questions de l’urgence environnementale et du changement climatique appliquées au sport a permis de nuancer ces conceptions simplistes et d’aborder de façon plus détaillée la politique sportive de Eric Piolle tout comme son rapport au sport de façon plus générale. Cet éclaircissement permet d’apporter quelques réponses sur la gestion du sport dans une mairie écologiste, a fortiori dans un contexte impacté par la crise sanitaire, économique et sociale liée à l’épidémie de COVID-19.

Avec des programmes faisant la part belle à l’écologie, à la réduction des inégalités et aux transitions en général, on peut néanmoins se poser la question de la place du sport dans ces projets politiques. 

Ces coalitions étant inédites pour la plupart, il semble légitime de se demander à quoi pourrait ressembler le sport vert-rose-rouge dans ces nouvelles villes écologistes pour les années à venir.

On ne démarre cependant pas d’une feuille blanche. La ville de Montreuil, première ville dirigée par une maire écologiste, propose un exemple de programme sport sur lequel les différentes équipes récemment élues pourraient s’appuyer. Dominique Voynet a été élue en 2008 dans cette ville de Seine-Saint-Denis qui compte environ 110 000 habitants. Depuis 12 ans, des politiques sportives en adéquation avec les enjeux de durabilité et d’écologie y ont été mises en place.

Constructions et rénovations d’équipements pour renforcer leur sobriété énergétique, leur accessibilité et la mixité de leurs usages et usagers, budget sensible au genre généralisé à la ville, modèle économique coopératif pour les associations, choix politique en faveur du sport sur ordonnance, création d’un label développement durable pour les événements et organisations sportives sont autant d’initiatives réalisées ou en projet qui illustrent une manière dont une mairie engagée peut concilier sa politique sportive avec la transition écologique et solidaire.

 Cet article propose une synthèse des différents programmes des listes élues pour essayer de déterminer la couleur que pourrait prendre le sport à Marseille, Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Grenoble ou encore Poitiers .

I. Le sport pour tous au cœur des propositions

Historiquement, les municipalités de gauche ayant mis le sport au cœur de leur politique sont notamment celles de la fameuse « banlieue rouge ». Les différentes publications de Nicolas Kssis-Martov retracent cette histoire du sport ouvrier qui s’est développé à l’échelle municipale et de sa fédération emblématique, la FSGT.

C’est cette histoire du sport municipal qui semble prioriser, dans l’ensemble des programmes, un sport qui touche tout le monde, peu importent les barrières sociales, de genre, d’âge ou de niveau économique qui se dressent devant les habitants. Cette accessibilité passe par deux grands axes de réflexion : les infrastructures et les mesures volontaristes d’accès au sport.

 Les infrastructures et espaces publics

Construire un peu et rénover beaucoup semble être la ligne suivie par la plupart des nouveaux maires élus. Ainsi, à Lyon et Marseille on propose la création de nouvelles piscines municipales (Les bassins nordiques, moins coûteux et énergivores sont cités plusieurs fois) et on promet un diagnostic pour « rééquilibrer » les équipements sportifs et donc leur diversité.  A Strasbourg, les efforts se concentreront sur les équipements extérieurs en accès libre. A Grenoble ou Bordeaux, on propose également une meilleure utilisation des équipements existants : accessibilité renforcée pour les personnes handicapées, ouvertures sur des horaires élargis ou réappropriation des équipements extérieurs font partie des solutions envisagées. Les équipements destinés au sport professionnel sont très peu évoqués, hormis dans le cas de Bordeaux et Marseille où le programme propose la rupture du partenariat public-privé et/ou la revente du stade.

Les publics éloignés de la pratique

Réduire les inégalités d’accès à la pratique sportive est envisagé de deux manières principales.

Tout d’abord, il s’agit de les aborder par le prisme des publics. Les femmes sont citées dans l’ensemble des programmes et leur inclusion fait souvent l’objet d’un chapitre dédié. Les personnes handicapées bénéficient de mesures inclusives à Grenoble. Elles n’apparaissent explicitement dans aucun autre programme : l’accessibilité y est seulement envisagée sous le prisme des infrastructures. Dans la moitié des villes, l’orientation sexuelle des personnes est par contre prise en compte dans la volonté de lever les barrières à l’accès au sport. Enfin, on note que plusieurs villes comptent proposer une aide financière, sur le modèle du pass culture afin de lever les barrières économiques à la pratique sportive.

Dans un second temps, ces inégalités sont également prises en compte dans leur dimension territoriale : comment rééquilibrer les disparités entre arrondissements ou quartiers ? Ainsi, Marseille prévoit la création d’une maison du sport-santé dans les quartiers Nord/Est ; Lyon et Bordeaux prévoient un diagnostic pour faire un état des lieux.

II. Soutien aux acteurs

Les clubs sont au cœur de l’action sportive municipale, les programmes leur promettent un accompagnement à la hauteur des enjeux sociétaux qu’ils seront amenés à porter, au-delà de la simple pratique sportive.

Construire avec et pour les habitants

De façon globale, les différents programmes étudiés ont affirmé leur volonté d’offrir à la population et aux acteurs locaux l’opportunité de se réapproprier le sport local et les espaces. La concertation et la consultation apparaissent donc régulièrement comme un point important. Elles démontrent l’envie d’être à l’écoute des citoyens et des structures pour mieux répondre à leurs demandes. Concrètement, ces ambitions pourront se manifester de différentes façons selon les villes. Certains ont fait le choix de créer un groupe de discussion mêlant l’ensemble des acteurs locaux du sport pour permettre des réunions et rencontres régulières (à l’image du Conseil du Sport Bordelais), d’autres vont réaliser des diagnostics et audits pour vérifier la correspondance entre les besoins et les moyens disponibles dans les différents quartiers ou associer les associations et clubs aux réflexions autour des cahiers des charges pour la construction et la rénovation d’infrastructures (Grenoble).

Diversifier les pratiques et se réapproprier les espaces

Toujours dans cet objectif de réappropriation des espaces et infrastructures publics, les mairies étudiées semblent insister sur la nécessité de travailler davantage sur la convivialité de ces lieux (Strasbourg propose des conciergeries solidaires, Grenoble souhaite créer des Club Houses). Les programmes insistent également sur leur volonté de promouvoir des pratiques sportives diversifiées, émergentes, moins connues afin de permettre à tous les pratiquants d’exercer leur discipline favorite (Lyon, Grenoble, Bordeaux, Marseille). Ce soutien passe par l’investissement dans des infrastructures susceptibles de permettre ces pratiques mais également par un travail de plaidoyer pour accueillir des compétitions nationales ou internationales de sports plus confidentiels (Poitiers ou Bordeaux). Cette volonté d’assurer une forme d’hybridation des pratiques, de diversité et mixité sociale ou de genre apparaît presque dans tous les programmes.

Des municipalités pour un sport socialement engagé

Les mairies nouvellement élues seront donc à l’écoute mais ont quasiment toutes émis leur désir d’accentuer la contribution du sport aux enjeux sociaux et sociétaux. Cet objectif sera réalisé selon deux schémas principaux (parfois cumulés dans certaines villes comme à Grenoble ou Marseille) : les mairies augmenteront les subventions aux acteurs déjà engagés et viendront proposer des formations ou des plans d’actions, notamment en lien avec l’égalité femmes-hommes et la lutte contre les discriminations, au bénéfice des éducateurs sportifs.

Elles ont presque toutes prévu de conditionner l’octroi de subventions en fonction des engagements sur des thématiques liées à l’égalité femmes-hommes, la promotion de la pratique des femmes, la féminisation de l’organisation, la lutte contre les discriminations et à la reconnaissance des droits LGBTQI+.  Certaines se baseront sur des labels créés ad hoc (comme le label Refugees Welcome de Grenoble) ou existants (labels diversité et égalité de l’AFNOR à Bordeaux) pour accompagner les acteurs sportifs dans leur transition sociale et parfois écologique (Lyon, Marseille, Strasbourg).

Le sport scolaire sera également soutenu de façon plus importante, parfois avec un réaménagement non genré des cours de récréation (Poitiers, Marseille et Grenoble dans le programme écoles). L’apprentissage systématique du vélo (Bordeaux) ou de la natation (Marseille, Poitiers) pour les enfants figure d’ailleurs dans certains programmes.

Le nécessaire rééquilibre entre sport professionnel et amateur

L’articulation entre sport professionnel et sport amateur est mentionnée dans tous les programmes, avec un niveau de tension variable d’une mairie à l’autre. Toutes ne remettent pas en cause le soutien aux clubs professionnels de leur territoire mais soulignent également le besoin de rééquilibrer les subventions et de soumettre l’ensemble des acteurs, professionnels comme amateurs, au même traitement pour leur attribution. Certains territoires évoquent la création d’un fonds de solidarité sport professionnel – sport amateur (Bordeaux), d’autres soumettent l’octroi de subventions aux clubs professionnels à l’organisation d’actions d’éducation et de sensibilisation pour les non-licenciés (Grenoble).

Les clubs professionnels ont parfois la jouissance exclusive de certains équipements. Toujours dans la même logique de réappropriation, différentes propositions ont émergé pour permettre un usage plus solidaire de ces infrastructures au bénéfice du plus grand nombre. Plusieurs villes évoquent la vente du stade où évolue l’équipe principale de Ligue 1 (Bordeaux ou Marseille) pour réinvestir les fonds dans des projets d’intérêt général ou la rénovation d’infrastructures. D’autres villes vont profiter de ces infrastructures et les utiliser pour accueillir des événements solidaires et promouvoir le sport au féminin (Grenoble).

Le sport, un enjeu de santé publique

L’accès à la pratique sportive et la lutte contre la sédentarité sont des enjeux de santé publique pour l’ensemble des programmes étudiés. Certains mettent l’accent sur les pratiques adaptées et l’accessibilité pour les personnes en situation de handicap, d’autres insistent également sur le sport sur ordonnance (Bordeaux, Grenoble) et l’accompagnement des femmes enceintes lors de la grossesse (Strasbourg). La santé apparaît cependant comme un enjeu moins central que le sport pour tous.

Conclusion : une entrée en jeu discrète des considérations environnementales

Si certaines villes évoquent l’accompagnement des institutions vers l’éco-responsabilité (Lyon) ou de soutenir la transition écologique (Bordeaux), cela n’est pas explicitement appliqué aux infrastructures, à leur rénovation ou entretien.

Quelques mesures pour lier sport et environnement sont néanmoins citées : la création d’une ressourcerie sportive à Grenoble et Bordeaux ou encore la mutualisation des ressources entre acteurs. Grenoble va jusqu’à proposer une charte « Grenoble capitale du sport zéro déchet », dont les contours restent à définir.

La quasi-totalité des programmes mentionnent les mobilités douces à la fois comme une pratique physique en elles-mêmes (vélo en tête) mais également comme un moyen de limiter l’impact des trajets qu’implique une pratique sportive.

La prise en compte de l’environnement dans le sport est relativement nouvelle par rapport à l’accès à la pratique ou au rôle éducatif et inclusif qu’on lui prête. C’est indéniablement une thématique cruciale et les équipes municipales seront probablement en attente d’un soutien sur ce point et tous les autres. La commission Sport d’EELV pourra prendre sa part dans cet accompagnement !